Miser sur le favori est simple, mais peu payant
(Règle #6 d’Eric)
Je m’ennuie de l’époque où mes collègues de travail et moi célébrions annuellement l’arrivée de l’été à l’hippodrome de Québec. Imaginez tous ces passionnés des marchés financiers et des chiffres réunis autour d’une table pour élaborer des stratégies qui, nous le souhaitions, démontreraient la finesse de nos savants calculs. Vous vous en doutez, une grande leçon d’humilité allait incontournablement s’en suivre.
Notre première expérience nous a fait vivre beaucoup d’émotions. Nous n’avions rien laissé au hasard dans l’élaboration de notre modèle de prévision qui estimait les chances de chaque cheval en fonction de ses forces et des conditions actuelles, telles la force des vents, la température extérieure, etc. Ce fut un succès. Nous avions tous déposé 2$ dans un chapeau et parié la totalité de la somme sur le cheval qui finalement s’est avéré être le gagnant. Nous ne savions pas à cette époque comment interpréter tous ces tableaux qui indiquent les mises et les gains en temps réel. Nous avions hâte qu’une de ces sympathiques dames en charge des paris nous annonce quelle somme magnifique nous remportions. Le résultat : une poignée de petit change. Quoi? Nous avions prédit avec justesse le gagnant mais n’avions même pas suffisamment de gains pour nous acheter un café? « Évident », nous explique cette même dame. « C’était le favori : une majorité de parieurs misaient sur lui, diminuant ainsi le gain réalisé s’il s’avère être le gagnant ». Erreur de débutant! J’aurais dû y penser.
Le marché obligataire a certains points en commun avec le domaine hippique. Supposons que nous ayons le choix entre deux stratégies : 1) acheter une obligation 5 ans dont le taux est de 2% ou 2) obtenir un taux de 1.33% par année les 2 premières années et réinvestir le tout par la suite pour 3 ans à 2.45%. Nous devrions théoriquement être indécis entre les deux options si le taux de 2.45% au renouvellement est connu et garanti au moment d’exercer notre choix, puisque les deux stratégies procurent un rendement annuel moyen de 2% pendant 5 ans. En pratique, le taux dans 2 ans pour un titre à échéance 3 ans plus tard n’est pas connu dès maintenant. Le taux de 2.45% représente le taux implicite auquel le marché s’attend à ce que se négocient les obligations 3 ans dans 24 mois. C’est nous qui le calculons à partir des taux connus, soit ceux de 2 ans (1.33%) et de 5 ans (2%). Pour que la deuxième stratégie soit plus profitable que la première, il faut que le taux 3 ans monte plus haut que ce qui est anticipé par le marché. Présentement, le taux pour une obligation 3 ans est de 1.54%. Même si ce taux monte de 50% à 2.31%, la stratégie 1 est supérieure.
Les calculs sont simples lorsque l’on suppose que les obligations sont conservées jusqu’à l’échéance. Ils se compliquent en réalité puisque les obligations peuvent être revendues en tout temps à un prix qui fluctue selon les variations des taux. Aussi, une infinité de stratégies s’ajoutent : choisir une obligation de 1 an et la renouveler pour 4 ans, etc. L’investisseur qui prévoit avec justesse un hausse de taux sans se soucier des attentes du marché risque de se faire dire par la sympathique dame en charge des paris : « Vous n’y gagnez rien puisque vous avez en quelque sorte misé sur le favori : une majorité d’investisseurs s’attendaient à ce que les taux montent, diminuant les bénéfices d’une anticipation en ligne avec ce consensus ».
Il ne faut pas retenir de cette illustration que le rendement s’obtient simplement en observant les attentes du marché et en prenant systématiquement des positions contraires à celui-ci. On doit d’abord formuler nos attentes pour un titre et observer pour celui-ci les attentes du marché. Plus notre opinion est différente de celle du marché, plus la pondération de ce titre au sein du portefeuille est différente de celle de l’indice. Miser sur la favori est simple, mais peu payant! Il vaut mieux avoir raison là où les autres ont tort.
Conseiller en placement
Gestionnaire de portefeuille