Au rythme où vont les choses, le baril de pétrole pourrait bientôt être moins cher qu’un baril de poulet frit. La chute de plus de 30% en 2015 du prix de l’or noir a de profonds impacts pour les canadiens. Elle affecte à la fois notre économie, nos marchés boursiers et notre devise. Voyons s’il existe un truc pour naviguer plus aisément dans ces temps plus difficiles.
Étudions d’abord l’impact des variations des taux de change sur l’évolution des placements d’un canadien. Vous achetez des actions d’une entreprise américaine. Le titre progresse de 20% suite à votre achat. Au même moment, le dollar américain recule de 20% par rapport au huard canadien. Si vous vendez vos actions et convertissez le tout en monnaie canadienne pour payer votre épicerie, vous n’aurez fait aucun rendement malgré la hausse de 20% de vos actions (en raison de la perte sur la devise). C’est pourquoi de nombreux chroniqueurs et analystes recommandent de choisir des produits qui vous mettent à l’abri des variations des devises. Généralement, les couvertures contre les replis enlèvent aussi, en contrepartie, la possibilité de profiter d’éventuelles hausses des monnaies étrangères lorsqu’elles surviennent. Alors, faut-il écouter le conseil d’investir dans des fonds qui « protègent » contre les variations des taux de change, ou plutôt choisir des versions sans couverture?
La recommandation populaire de couvrir le risque de change s’appuie sur des études rigoureuses. Le seul problème, c’est que plusieurs de ces études sont produites aux États-Unis. En gestion de portefeuille, il vaut mieux être prudent avant d’appliquer au Canada les conclusions d’études américaines. Sans prétendre avoir fait l’inventaire complet des éléments à considérer, soulignons à tout le moins qu’en comparaison de l’économie de nos voisins du sud, notre pays est beaucoup plus affecté lors de chutes des cours du pétrole et des autres matières premières. En couvrant nos actions étrangères contre les variations des devises, nous retranchons la possibilité de tirer profit des hausses des monnaies moins sensibles aux ressources.
Ainsi, détenir des dollars américains tend à protéger les investisseurs canadiens contre les replis boursiers. La figure 1 illustre bien ce phénomène. Le rendement annuel de l’indice S&P/TSX Composite a été négatif à 9 occasions de 1987 à 2015. La devise américaine s’est appréciée à 8 reprises sur ces 9 épisodes (gain annuel moyen du billet vert de 8.2% lorsque le TSX baisse). Lors du recul de 33% des actions en 2008, le dollar américain a progressé de 24% par rapport au huard. Plus récemment, en 2015, le TSX s’est replié de 8.32% alors que la devise de nos voisins du sud a gagné 19.1%.
Les canadiens qui aiment voyager à l’étranger ont de quoi trouver malheureuse la forte baisse du prix du pétrole, puisqu’elle affecte à la fois le taux de change et leur portefeuille d’actions canadiennes. Ces deux actifs financiers (huard et titres boursiers canadiens), comme nous venons de le voir, reculent souvent de concert. La nervosité s’additionne donc lorsqu’on voit la bourse baisser, et le coût de notre prochain séjour en Floride monter à vue d’œil. Dépendre des aléas de notre devise pour une large part de notre budget annuel de dépenses peut rendre frileux un snowbird face à la bourse, puisqu’il est historiquement écopé sur les deux plans simultanément. Un conseil judicieux pourrait donc être de ne pas couvrir son portefeuille contre les variations des devises. Cette recommandation est à contre-courant, mais, quand on y pense, elle a protégé du capital pour ceux qui l’ont appliquée en 2015, en 2011, en 2008, etc. Bref, à 8 reprises lors des 9 derniers déclins annuels de la bourse. On ne peut savoir où ira la bourse ou le pétrole en 2016. Mais il est permis de chercher à appliquer des stratégies ayant tendance à amoindrir les fluctuations et à rendre le voyage plus confortable.
Eric Gaudreau, M.Sc., CFA
Conseiller en placements
Gestionnaire de portefeuille