Éditoriaux  

Marché baissier ou simple correction?

La saison de la chasse à l’ours

J’ai passé mon enfance à jouer dans la forêt avec mon frère. Mais à chaque automne, il fallait se trouver autre chose à faire pendant quelques semaines. Durant la période de la chasse, ma mère préférait que nous nous amusions près de la maison, loin du bois, pour des raisons évidentes de sécurité. Ces souvenirs me reviennent parfois l’automne, lors de la période de la chasse à l’ours. Oui oui, à l’ours. Celui auquel nous faisons allusion en finance pour caractériser un marché baissier (ou bear market). Sommes-nous présentement dans un tel marché? Si tel est le cas, l’automne étant propice aux baisses sur les marchés, il vaut mieux être prudent, tant que l’ours n’aura pas été tué.

Un marché baissier (ou bear market) est défini par un recul de l’ordre de 20% ou plus d’un indice. Le terme correction, quant à lui, désigne un repli compris entre 10% et 20%. Ainsi, tout marché baissier commence par une correction, mais ce ne sont pas toutes les corrections qui se transforment en un marché baissier. Au 3ième trimestre de 2015, les marchés boursiers nord-américains n’ont testé que la zone de correction seulement. En fait, nous n’avons pas revu l’ours depuis notre sortie de la crise financière en 2009, une absence longue en comparaison des normes historiques (il y aurait un marché baissier en moyenne à tous les 3 ans selon les données illustrées au tableau 1).

 

Repli Nombre moyen par année Fréquence historique
moyenne
Nombre moyen de
jours ouvrables
entre les replis
Nombre de jours ouvrables écoulés
depuis le dernier
20% 0.3 Un marché baissier à tous les 3 ans 776 1 664
10% 1.4 Une correction à tous les 9 mois 191 26
5% 5.1 Plus d’un par trimestre 51 2
3% 11.1 Presqu’une fois par mois 23 4
Tableau 1 : Fréquences historiques de différents replis du S&P500 du 1er juil. 1986 au 30 sept. 2015. Les moyennes excluent l’épisode haussier en cours. Analyse indépendante de chaque type (ampleur) de repli. Tous les calculs reposent sur les niveaux journaliers de fermeture. Sources : Thomson Reuters et Standard & Poor’s.

 

Après cette période prolongée d’absence, plusieurs craignent le retour de l’ours. Le cycle haussier actuel aurait duré trop longtemps selon les adeptes de ce type d’études statistiques. Pour ma part, il m’apparaît imprudent de tenter de prévoir la direction du marché sur cette base. L’utilisation des moyennes historiques du tableau 1 peut nous mener à des graves erreurs d’interprétation. Une moyenne n’est qu’une mesure statistique d’une tendance centrale et ne nous renseigne en rien sur la dispersion des données. Je préfère l’étude de cycles plus stables en terme de durée.

Le récit suivant au sujet du crash boursier de 1987 illustre bien mon point. Cette année-là, après avoir atteint un sommet de fermeture à 336.77 le 25 août, le S&P500 s’est mis à reculer graduellement. La baisse de 2.34% du jeudi 15 octobre portait à 11.49% le repli cumulatif par rapport au point le plus élevé de l’été. Le lendemain, le marché perdait 5.16% additionnels. Puis, le 19 octobre, le lundi noir, la bourse a plongé de plus de 20% en une seule journée. L’indice a remonté de 15% plus tard dans la semaine avant de s’enfoncer à nouveau presqu’aussi creux le lundi suivant. Alors que le tableau 1 nous dit que des corrections de 10% ne surviennent en moyenne qu’aux 9 mois, les marchés, en l’espace de quelques jours seulement, ont clôturé à 3 reprises en repli de plus de 10% par rapport au sommet précédent. Notons que cet épisode boursier turbulent diminue grandement la moyenne du nombre de jours écoulés sans correction. À l’autre extrême, il s’est écoulé plus de 7 ans sans correction de 10% de 1990 à 1997. Ce qui est encore une fois très loin de la moyenne d’une correction aux 9 mois.

Notre cerveau aime l’ordre et la symétrie. Il est naturel de tenter de caractériser les différents régimes de marché en termes cycliques (ex: 1 marché baissier à tous les 3 ans ou à tous les 776 jours ouvrables). Mais en réalité, il ne s’est jamais écoulé 776 jours entre deux marchés baissiers. À l’automne 2008, à peine 32 jours ont séparé deux replis de plus de 20% de l’indice (tableau 2). Et à l’autre bout du spectre, après le crash de 1987, les investisseurs ont été exemptés de marchés baissiers pendant plus de 13 ans, soit jusqu’en 2001. Le simple fait de ne pas avoir eu d’accident de voiture depuis longtemps ne signifie pas qu’une collision soit imminente.

 

Date d’atteinte du repli de 20% et + Niveau de fermeture du S&P500 suite à une baisse de 20%

Nombre de jours ouvrables écoulés depuis le « bear market » précédent

12 mars 2001 1 180.16 3 428
17 sept. 2001 1 038.77 131
10 juil. 2002 920.47 204
9 juil. 2008 1 244.69 1 511
7 oct. 2008 996.23 63
20 nov. 2008 806.58 32
23 fév. 2009 743.33 62
Tableau 2 : Historique des marchés baissiers du S&P500 des 25 dernières années. Sources : Thomson Reuters et Standard & Poor’s.

 

Nous sommes au cœur du 2ième plus long marché haussier des 30 dernières années. Il s’est écoulé 1 664 jours depuis le dernier bear market de 2009. Et comme nous venons de le voir, le simple fait qu’un marché n’ait pas baissé depuis longtemps n’est pas un indicateur qu’une baisse soit imminente. Cependant, deux points doivent attirer notre attention:

1) La volatilité semble attirer la volatilité. Remarquez comme le délai entre 2 marchés baissiers est soit très long (13 ans entre 1987 et 2001 puis 6 ans entre 2002 et 2008) ou soit très court (3 marchés baissiers en 2001-2002 et 4 en 2008-2009).

2) Au cours des 30 dernières années, 6 des 8 ours nous ont visités entre juillet et novembre (dont le gigantesque d’octobre 1987).

Tout comme je le faisais à chaque automne lors de mon enfance, je me dois de demeurer prudent en cette saison de la chasse. J’ai l’habitude d’être discipliné et de me tenir quelque peu à l’écart en attendant l’hiver, ma période préférée de l’année, saison durant laquelle l’ours va plus souvent qu’autrement hiberner.

 

Eric Gaudreau, M.Sc., CFA
Conseiller en placement / Gestionnaire de portefeuille

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