Lorsqu’il prête son argent, l’investisseur s’attend généralement à ce que l’emprunteur lui verse en retour des intérêts. Saviez-vous que les taux auxquels se négocient de nombreux titres de créance sont négatifs depuis quelques années? Dans une telle situation, l’émetteur est en quelque sorte payé pour emprunter! À ce sujet, étudions les implications pour les titres à revenu fixe détenus par les investisseurs dans leur REÉR, leur CÉLI ou tout autre compte.
Voyons d’abord comment nous en sommes venus à souhaiter payer pour avoir le privilège de prêter notre argent au gouvernement. L’équilibre entre l’offre et la demande semble être le grand coupable de la situation. Lorsque plusieurs prêteurs sont disposés à financer un individu, une entreprise ou un autre emprunteur, le taux d’emprunt subit des pressions à la baisse (toutes choses étant égales par ailleurs). En gestion de portefeuille, l’acte de prêter est synonyme d’acheter une obligation. Lorsque j’achète une nouvelle obligation, je prête mon capital à un émetteur qui cherche à se financer. Plus les quantités d’obligations demandées par les acheteurs sont élevées en proportion de l’amalgame des titres d’emprunts en circulation, plus les prix montent sur les marchés obligataires. Quand les prix montent, les taux baissent. Et si les prix montent trop? Et oui, celui qui paye l’obligation très (trop?) chère obtiendra un rendement à échéance négatif.
Maintenant, qui peut bien vouloir se garantir une perte en consentant un prêt? Beaucoup plus de gens ou d’institutions que nous pourrions à priori le croire. L’investisseur qui croit que les prix des obligations monteront davantage achètera l’obligation à taux négatif dans l’espoir de la revendre plus tard à quelqu’un d’autre pour plus cher, réalisant finalement un rendement positif (sous forme de gain en capital). Les banques centrales pourraient également considérer, à certains moments, l’achat d’obligations à rendement négatif. Elles le feraient par exemple pour injecter des liquidités dans les marchés dans le but de stimuler la croissance économique. Les fonds indiciels s’intéressent eux aussi aux titres à taux négatifs. En effet, le gestionnaire qui a pour mandat de calquer la performance d’un indice obligataire se procurera les titres qui le composent, même si les taux sont bas ou négatifs. Il ne peut se permettre après tout de déroger de la constitution de la référence à laquelle il sera comparé. Bref, il y a bel et bien de la demande pour ces titres.
Les caisses de retraite et d’autres institutions ont souvent pour contrainte d’investir une portion leurs actifs dans des titres d’émetteurs dont la cote de crédit est triple A (ou « AAA » si vous préférez) et ce, peu importe le taux. Suite à la crise financière de 2008, la liste des pays ayant préservé cette cote est beaucoup plus courte. L’institution européenne qui doit choisir aujourd’hui entre investir à un taux de -0.10% pour 5 ans en obligations triple A du gouvernement allemand ou obtenir +0.77% du gouvernement canadien (échéance et cote de crédit similaires) envisage peut-être maintenant investir chez nous. L’important différentiel de rendement entre ici et la zone euro explique possiblement en partie pourquoi les taux diminuent encore en 2015 sur les marchés américains. Et qui dit baisse de taux dit hausse des prix. Les obligations à taux négatifs… menace ou opportunité?
Un trimestre rempli d’opportunités pour les investisseurs en obligations vient de se terminer, même s’il avait débuté avec des taux déjà extrêmement dépréciés. Nous savons maintenant que même à 0%, les taux peuvent continuer de baisser. Chacun doit maintenant se demander s’il sera disposé à payer pour prêter, si on lui en offre l’opportunité!
Eric Gaudreau, M.Sc., CFA
Conseiller en placement
Gestionnaire de portefeuille