Comparaison des politiques de protectionnisme et de libre-échange
Je suis parmi les chanceux dont le passage sur terre touche deux différents millénaires. Et je suis stupéfait de constater à quel point les préoccupations en 2025 sont complètement à l’opposé de ce qu’elles étaient dans mon jeune temps. Lorsque j’étais enfant, mes deux parents ont eu des emplois dans l’industrie du textile. Au début des années 90, la tendance baissière des tarifs douaniers et ce que nous appelions la MONDIALISATION était la plus grande menace aux emplois du secteur manufacturier canadien. Aujourd’hui, au contraire, c’est la hausse du protectionnisme par l’imposition de droits de douane qui ébranle le marché du travail au pays! Aussi bien les tarifs que nous imposons que ceux qui nous sont imposés. Alors que la pilule de la mondialisation était finalement avalée depuis longtemps pour plusieurs au sein de la population, et que les bienfaits du libre-échange ont été largement documentés au fil du temps, il est devenu étonnant d’entendre des positions aussi favorables au protectionnisme que celles du président Donald Trump. Aujourd’hui, je me donne comme défi de présenter certains avantages et inconvénients du libre-échange et de poser un regard sur les deux côtés de la médaille.
Macroéconomie et commerce international
L’objectivité de plusieurs écrits récents au sujet du commerce international est malheureusement affaiblie par la sensibilité actuelle du sujet à la suite des multiples menaces du président américain, dont celle de l’annexion du Canada (qu’il appelle le 51e État!). J’ai donc eu l’idée de sortir un de mes vieux livres de macroéconomie[1], imprimé en 1997, et de relire les renseignements des économistes Parkin et Bade à propos du commerce international. Puisqu’il fut écrit à l’époque où le Canada imposait lui-même des tarifs douaniers sur le textile et les chaussures, j’espérais y retrouver ce qui soutient les convictions actuelles du président Trump.
Les tendances historiques des tarifs douaniers
Les auteurs Parkin et Bade (1997) expliquent que des hausses temporaires de tarifs douaniers ont eu lieu à plusieurs occasions au cours de l’histoire. Une guerre commerciale a éclaté pendant la Grande Dépression des années 1930 lorsque les États-Unis ont introduit le tarif Smoot-Hawley[2]. Pays après pays ont riposté avec leurs propres tarifs, et en peu de temps, le commerce mondial avait presque disparu. Les répercutions pour tous les pays furent élevées ce qui a mené à l’écriture d’une résolution internationale, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), pour éviter de telles mesures autodestructrices à l’avenir. Le GATT fut signé en 1947 par 23 pays dont le Canada et les États-Unis. Depuis lors, les tarifs ont baissé lors de divers cycles de négociations et ils étaient pratiquement à leurs plus bas niveaux de l’histoire moderne avant l’arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2016.
Illustration 1 : Tendance baissière des tarifs douaniers sur 200 ans
Taux effectif de tarifs (%) aux États-Unis selon les années

Sources : Tax Foundation, Russell Investments. Données de 2024.
Le protectionnisme : Plus de pertes que de gains
Selon les auteurs du livre “Macro Economics: Canada in the Global Environment”, les arguments pour le protectionnisme sont souvent faibles. Le protectionnisme peut sauver certains emplois à court terme, mais il nuit à l’ensemble de l’économie à long terme. Les industries qui bénéficient des tarifs douaniers ne réussissent pas toujours à se développer de manière durable, et le fardeau économique est souvent trop lourd pour les consommateurs.
Un exemple frappant de ce phénomène est celui de l’industrie du textile aux États-Unis. Jusqu’en 2005, les emplois dans cette industrie étaient protégés par une entente internationale appelée l’Accord multifibres[3]. Selon L’International Trade Commission (ITC) des États-Unis, les quotas d’importation ont permis de maintenir environ 72 000 emplois qui auraient autrement disparu. Cependant, cette protection a eu un coût significatif pour les consommateurs américains[4]. L’ITC a estimé qu’en raison des quotas, les dépenses annuelles en vêtements aux États-Unis étaient plus élevées d’environ 160$ par famille. En d’autres termes, chaque emploi du textile sauvé coûtait environ 221 000$ par an. Ce coût élevé pour maintenir des emplois dans une industrie non compétitive montre à quel point le protectionnisme peut être inefficace et onéreux. Au lieu de se concentrer sur la protection des industries déclinantes, l’économie bénéficierait davantage de la réallocation des ressources vers des secteurs où les gains de productivité et les avantages concurrentiels sont plus importants.
Le lobbying pour le protectionnisme
Si les avantages du libre-échange sont si évidents, pourquoi l’administration Trump insiste-t-elle sur les tarifs douaniers? La réponse se trouve peut-être dans la différence de motivation entre les protectionnistes et les partisans du libre-échange.
Les personnes qui perdent en raison du libre-échange et les producteurs nationaux qui souffrent de la concurrence étrangère ont une incitation forte à consacrer temps et ressources pour persuader le gouvernement de mettre en place des mesures protectionnistes. En revanche, il est plutôt rare d’observer une mobilisation des défenseurs de la mondialisation. Bien que les gains du libre-échange soient considérables pour l’économie d’un pays dans son ensemble, ils restent modestes pour chaque individu, car ils sont répartis sur une vaste population. Un travailleur du textile qui perd son emploi subit un dommage beaucoup plus grand qu’un enseignant qui doit payer 160$ supplémentaires en vêtements par année pour sa famille! Les pertes du libre-échange sont concentrées sur certains groupes lourdement impactés, tandis que les gains sont répartis sur un grand nombre de personnes de manière diffuse et moins perceptible, ce qui rend leur mobilisation plus difficile.
Conclusion
L’étude de la macroéconomie et des dynamiques du commerce international aide à comprendre les motivations politiques des différents acteurs. Les gains attribuables au libre-échange excèdent les pertes au niveau national, mais ceux qui s’y opposent, bien qu’ils soient minoritaires, réussissent souvent à influencer les politiques commerciales. Il n’est donc pas étonnant de constater que les tarifs douaniers sont rehaussés de temps à autre dans l’histoire. Mais les droits de douane finissent historiquement par rebaisser après des périodes de protectionnisme intense, en raison de la pression internationale, de l’évolution des industries et de la reconnaissance des gains du libre-échange.
Pour lire la chronique d’Annik Noël c’est ici:
[1] Parkin, Michael, and Robin Bade. Macroeconomics: Canada in the Global Environment. 3rd ed., Pearson/Addison Wesley, 1997.
[2] Plus de détails au www.senate.gov/artandhistory
[3] Source : https://www.wto.org/french/tratop_f/texti_f/texintro_f.htm
[4] Parkin, Michael, and Robin Bade. Macroeconomics: Canada in the Global Environment. 10th ed., Pearson/Addison Wesley, 2018.