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Éditorial

Millionnaire en investissant l’hiver

À chaque saison suffit son gain

« Papa, il fait encore clair dehors… pourquoi il faut se coucher? » Question légitime venant d’un garçon de 2 ans et demi. Surtout que cet hiver, ses parents lui ont souvent expliqué à la sortie de la garderie que même si le soleil était couché, ce n’était pas la nuit. Les réalités qui occupent la tête d’un adulte lui font parfois perdre de vue une partie de ce qui le connecte à la nature… Dans ses décisions de placement, l’investisseur ne devrait toutefois pas ignorer l’influence du passage des saisons sur l’évolution des marchés financiers. Ce bulletin résume les enseignements à ce sujet qui influencent profondément mon approche de gestion de portefeuille.

L’effet Halloween, phénomène de marché bien documenté, suggère que les mois d’été (de mai à octobre) sont significativement moins profitables pour les investisseurs à la bourse que les mois d’hiver (de novembre à avril). Plusieurs études de ce phénomène portent sur des données américaines. J’ai testé la stratégie sur des données canadiennes1 en opposant deux investisseurs fictifs. L’investisseur d’été a placé 10 000$ le 1er mai 1921 dans le marché des actions et a vendu celles-ci le soir de l’Halloween 1921. La somme tirée de sa vente est demeurée sous son matelas jusqu’au matin du 1er mai 1922, où il l’a investi à nouveau à la bourse pour 6 mois, et ainsi de suite, jusqu’à aujourd’hui. L’investisseur d’hiver, dont le portefeuille valait lui aussi 10 000$ en 1921, a pour sa part appliqué la stratégie inverse au cours de la même période. Aujourd’hui, l’un est pauvre, l’autre est riche. La hausse des marchés boursiers à l’hiver 2012 ont fait de l’investisseur d’hiver un nouveau millionnaire. Pour sa part, l’investisseur d’été n’a que 14 308$ sous son matelas.

L’investisseur d’été, qui n’investit que de mai à octobre, n’a pas été chanceux. Il a subi le crash boursier d’octobre 1929 et celui d’octobre 1987. Son portefeuille a aussi subi les contrecoups liés aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 ainsi qu’à la faillite de Lehman Brothers du 15 septembre 2008. Mais ces 4 importants épisodes de baisse n’expliquent pas pourquoi l’écart est si grand entre les différentes saisons. Supposons qu’un investisseur d’été prodigieux avait su se retirer du marché boursier pour éviter de subir ces 4 importants mois de recul, celui-ci aurait une somme de 27 308$ sous son matelas. Sa réalité demeurerait totalement différente de celle de l’investisseur d’hiver millionnaire.

Ces résultats sont fascinants, mais il y a encore mieux à faire : ne pas laisser l’argent sous son matelas l’été. L’étude de Kamstra et al. (2012)2 suggère l’existence d’un lien important entre la performance des marchés et la dépression saisonnière (DS). Un investisseur dont l’état émotif change selon les saisons tend à être moins tolérant au risque en hiver. L’étude des sommes investies dans les fonds d’obligations et d’actions montre d’importantes variations saisonnières cohérentes avec le phénomène de DS qui toucherait des dizaines de milliers d’individus en Amérique du Nord. Au Canada (pays plutôt nordique, là où il y a une plus grande prévalence documentée de gens souffrant de DS) les transferts d’argent des actifs risqués vers les actifs moins risqués (et vice versa) varient davantage en fonction des saisons qu’aux États-Unis. Autre phénomène impressionnant : les flux financiers sont décalés de 6 mois en Australie, tout comme le sont les saisons (les australiens achèteraient davantage d’actions durant les mois où les canadiens en achètent le moins).

L’hiver, il fait froid, mais les rendements boursiers tendent à être intéressants. L’été, il fait beau, mais les enfants doivent faire dodo même si le soleil n’est pas encore couché. À chaque saison suffit son gain…

Eric Gaudreau, M.Sc., CFA
Conseiller en placement
Gestionnaire de portefeuille
Groupe Gestionnaires de portefeuille FBN
Tél.: 1 800 463-2635
Courriel: eric.gaudreau@bnc.ca