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Éditorial

LE PORTEFEUILLE DIVERSIFIÉ EST-IL VIEUX JEU?

Redouté depuis longtemps, un changement important s’opère peut-être en ce moment. Les opinions divergent présentement sur la capacité qu’ont les obligations à protéger la valeur des portefeuilles. En septembre 2021, vous l’avez peut-être constaté, le rendement des actions et celui des obligations a diminué en parallèle. Aujourd’hui, nous regarderons si les obligations jouent toujours leur rôle dans les portefeuilles diversifiés.

On entend souvent dire que le prix des obligations est inversement corrélé avec celui des actions. Ainsi, la détention d’obligations tend à amoindrir les baisses d’un portefeuille lorsque la bourse chute. Mais cette relation inverse entre ces classes d’actifs s’évapore parfois. Les deux classes d’actifs bougent alors de concert. En septembre 2021, l’indice d’actions canadiennes S&P/TSX Composite a baissé de 2.2%. L’indice FTSE univers obligations canadiennes encaissait un recul supérieur à 1% au même moment. Triste réconciliation entre les deux classes d’actif, ou vérité seulement temporaire… certains chroniqueurs financiers parlaient, le 30 septembre, de la mort des portefeuilles diversifiés. On se demandait alors si les rendements des actions et des obligations redeviendraient positivement corrélés dans les années à venir, comme c’était le cas généralement dans les années 80 et 90.

Puis, quelques semaines plus tard, le variant Omicron est arrivé et les marchés boursiers ont chuté. Cette fois-ci, le prix des obligations s’est apprécié, contrairement à ce qui s’était produit en septembre. L’indice FTSE univers obligations canadiennes progressait de plus de 0.5% par jour à chaque fois que les actions connaissaient un fort repli (fin novembre et début décembre). Pourquoi les obligations ont-elles bien joué leur rôle cette fois-ci?

Ce qui différencie le plus le mois de septembre et l’arrivée d’Omicron (fin novembre), c’est le degré de panique sur les marchés. Revoyons tour à tour chacun de ces deux épisodes. En septembre, on apprenait que l’inflation de la dernière année atteignait 4.1% au Canada. Il s’agissait alors de la plus forte hausse des prix depuis mars 2003. Les taux d’intérêt se sont alors mis à monter (chute du prix des obligations). Face à cette poussée inflationniste, les investisseurs se sont mis à craindre que les banques centrales retirent les mesures accommodantes en place depuis le début de la pandémie, et à s’inquiéter des impacts négatifs de ces retraits sur les profits à venir des entreprises. Le prix des actions a donc reculé lui aussi. Bref, certains soutiennent que la chute des actions était intimement liée, voir provoquée, par la chute des obligations (donc par la hausse de taux). Alors qu’au Black Friday (novembre), la chute du prix des actions était en lien avec un facteur externe (variant Omicron), qui a provoqué une forme de panique. Lors de cet épisode, les investisseurs se sont réfugiés vers les obligations, poussant les prix à la hausse.

L’œuf ou la poule?

La corrélation changeante entre actions et obligations observée en 2021 n’a rien d’unique. Historiquement, si un événement ou choc provoque une panique, les investisseurs quittent la bourse et se réfugient régulièrement en obligations (corrélation inverse en vigueur). Mais dans d’autres circonstances, lorsque ce sont des possibles hausses de taux qui hantent les marchés et qui font chuter la bourse, cette descente survient alors qu’une baisse du prix des obligations est déjà amorcée (corrélation positive). Bref, une chute du prix des obligations risque d’entrainer avec elle une chute de la bourse. Alors qu’une chute qui survient d’abord à la bourse a souvent pour effet de faire monter le prix des obligations. Si l’on détecte lequel entre l’œuf ou la poule est arrivé en premier, on améliore notre compréhension du type de régime dans lequel nous sommes (corrélation positive ou négative), ce qui nous aide à mieux positionner notre portefeuille pour une éventuelle reprise.

La corrélation positive risque-t-elle de devenir permanente?

La variation en parallèle des actions et des obligations observée en septembre, bien qu’inhabituelle de nos jours, était un comportement dominant avant les années 2000. Si cette tendance redevient la norme au cours des prochaines années, il faut s’attendre à des rendements mensuels un peu plus volatiles en général pour les portefeuilles. Lors des plus gros replis boursiers, ceux provoqués par des paniques, les corrélations pourraient temporairement redevenir négatives et les obligations pourraient régulièrement nous protéger (comme ce fut le cas lors de l’épisode Omicron). Mais lors des « petits » reculs boursiers, ceux qui surviennent sans grande panique, les baisses risquent de ne plus être contrebalancées par des hausses de prix des obligations. Soulignons que des corrélations plus élevées n’ont presque pas d’incidence sur le rendement espéré à long terme selon une étude de Vanguard[1]. L’impact se fait sentir principalement par une augmentation de la volatilité des rendements mensuels, et non sur le rendement total à plus long terme. Pour rendre les fluctuations mensuelles moins inconfortables, détenir des monnaies étrangères défensives pourrait demeurer intéressant dans les portefeuilles diversifiés (voir mon éditorial de janvier 2016 intitulé Détenir des dollars américains tend à protéger[2]).

Pourquoi détenir une obligation alors que son rendement est inférieur à l’inflation?

Si nous étions tous des robots, et si nous n’avions aucune émotion, notre portefeuille serait possiblement constitué d’actions à 100%. Je parle ici pour des investisseurs dont l’horizon de placement est à long terme (10 ans et plus). Selon les standards historiques, le rendement espéré à long terme est largement supérieur pour les actions que pour les obligations. Mais nous ne sommes pas des robots. Nous avons des émotions et les fluctuations boursières quotidiennes sont parfois difficiles à tolérer. Notre plus grand risque avec un portefeuille 100% actions serait d’abandonner notre stratégie et de vendre au mauvais moment, sous l’influence de la panique. On se retrouverait ainsi dans une situation où le risque n’aurait pas été payant, et n’aurait finalement donné qu’une seule chose : du risque. Un portefeuille diversifié est plus payant qu’un portefeuille 100% actions s’il s’agit du seul moyen pour nous convaincre de ne pas vendre après une chute marquée des actions.

En conclusion

Bien sûr, si les taux montent, le rendement des obligations risque d’être désastreux. Nous en avons eu un avant-goût en 2021 : l’indice FTSE univers obligations canadiennes a reculé de 2.54% alors que l’indice d’actions canadiennes S&P/TSX Composite a progressé de 25.09%. De plus, nous avons vu que des hausses de taux font parfois chuter la bourse en même temps que les obligations (ce fut le cas en septembre 2021). Mais souvenons-nous que nous ne détenons pas nos obligations pour nous protéger contre des hausses de taux. Nous les possédons dans l’espoir d’amoindrir l’impact des chutes boursières lors de paniques liées à des événements géopolitiques, épidémiologiques, météorologiques, économiques, etc. Bref, elles ont encore leur place dans un portefeuille diversifié.

Eric Gaudreau, M.Sc., CFA
Conseiller en gestion de patrimoine
Gestionnaire de portefeuille

 

[1] Source : vanguard.ca. Nom de l’étude : « La corrélation entre les actions et les obligations dans un contexte de hausse de l’inflation : en hausse, mais sans changement de régime » (disponible en anglais seulement).
[2] Disponible à l’adresse http://moncoachfinancier.com/editoriaux/dollars-americains/.