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Éditorial

Le risque lié à la séquence des rendements

Bien des gens se posent la question : qu’arrivera-t-il à mes placements lors de la prochaine récession? La réponse: ce n’est pas un souci si vous êtes comme Denis, mais attention si vous êtes comme Maurice! D’un autre côté, si votre situation ressemble à celle d’Alexandre, un éventuel essoufflement de l’économie pourrait représenter une belle opportunité au niveau des placements. Vous l’aurez deviné, je vais présenter aujourd’hui trois investisseurs fictifs pour illustrer s’il est justifié ou non de s’inquiéter de l’éventuelle fin de la phase haussière du cycle des actions. Avant de débuter, une mise en garde s’impose. Les exemples d’aujourd’hui représentent des cas extrêmes. Le fait de présenter des reculs de 50% sur 12 mois ou des portefeuilles dont la valeur double en peu de temps ne reflète en rien mon opinion quant aux conditions de marché des prochaines années. L’unique but est d’imager un concept, pour en faciliter la compréhension.

Commençons par Denis, âgé de 53 ans, qui a un REÉR d’une valeur de 100,000$. Supposons que les rendements des 2 prochaines années soient extrêmement volatiles : un bond de 100% la première année suivi d’un recul de 50% au cours des 12 mois subséquents. Le portefeuille aurait ainsi une valeur finale de 100,000$ dans 24 mois. Le rendement du REÉR de Denis serait donc nul sur 2 ans (aucun gain ni aucune perte).

Que se produirait-il si l’on inversait la séquence des rendements? Si l’on suppose que le repli de 50% survient au cours de la première année et que le gain de 100% se produit durant les 12 derniers mois? La réponse : le portefeuille aura, ici aussi, une valeur finale de 100,000$. Que le repli de 50% survienne dès la première année, ou qu’il soit observé à l’année 2, le REÉR de Denis aura la même valeur dans 24 mois. La séquence n’a aucune importance. pour un investisseur qui, comme Denis, ne fait ni retrait, ni dépôt additionnel.

Maurice, le père de Denis, a lui aussi un portefeuille de placements d’une valeur de 100,000$. Bien que Maurice ait besoin de piger dans ses épargnes pour couvrir ses dépenses, il a choisi les mêmes placements risqués que son fils. Comme nous allons le voir, il s’agit d’un pari dangereux pour ce retraité qui dit vouloir « retirer 50,000$ par année le plus longtemps possible, jusqu’à ce que le capital soit épuisé ». Le tableau ci-dessous présente l’évolution de la valeur du portefeuille de Maurice les 2 premières années si la séquence de rendement est +100% la première année et -50% au cours des 12 mois subséquents (séquence de rendement que je désignerai [+100,-50%] dans le reste du texte).

Tableau 1 : Les 2 premières années de Maurice [+100,-50%]
Année Valeur au début de l’année Gain Dépôt (ou retrait) de fin d’année Valeur à la fin de l’année
1 100,000$ +100% (+100,000$) -50,000$ 150,000$
2 150,000$ -50% (-75,000$) -50,000$ 25,000$

Même après avoir effectué des retraits totalisant 100,000$ sur 2 ans, Maurice n’aura pas épuisé son capital dans cet exemple. Souvenons-nous qu’avec cette même séquence [+100,-50%], Denis n’a obtenu aucun profit (son REÉR de 100,000$ a fait du surplace en 2 ans). Denis aura sans doute des questions à poser à son conseiller lorsqu’il apprendra que son père a fait 25,000$ de plus que lui alors qu’ils ont la même répartition d’actifs et exactement les mêmes produits financiers et qu’ils ont donc subit les mêmes variations au même moment! Mais là n’est pas le point que je veux faire ressortir aujourd’hui.

Continuons plutôt en illustrant ce qui arriverait à Maurice si la séquence des rendements est inversée, c’est-à-dire [-50%,+100%]. Le tableau 2 nous montre qu’une séquence de rendements défavorable rapproche la date d’épuisement du capital pour un investisseur qui effectue des décaissements (retraits).

Tableau 2 : Les 2 premières années de Maurice [-50%,+100]
Année Valeur au début de l’année Gain Dépôt (ou retrait) de fin d’année Valeur à la fin de l’année
1 100,000$ -50% (-50,000$) -50,000$ 0$
2 0$ +100% (+0$) 0$ 0$

Si le recul de 50% survient dès la première année (tableau 2), plutôt qu’à l’année 2 (tableau 1), le capital de Maurice sera épuisé beaucoup plus rapidement. C’est ce que nous appelons le risque lié à la séquence des rendements.

Maintenant, étudions la question de l’impact de la séquence des rendements pour un investisseur qui est pour sa part dans la phase d’accumulation. C’est le cas d’Alexandre, le fils de Denis (et petit-fils de Maurice). Alexandre est bien parti puisqu’il a déjà accumulé des placements dont la valeur s’élève à 100,000$. Il a le même profil d’investisseur et les mêmes produits financiers que son père et son grand-père. Le salaire d’Alexandre est très élevé et il dépense peu. Ainsi, il prévoit déposer dans son portefeuille 50,000$ additionnels à la fin de chaque année. Suivons l’évolution de son compte selon les mêmes séquences que dans nos exemples qui précèdent.

Tableau 3 : Les 2 premières années d’Alexandre [+100,-50%]
Année Valeur au début de l’année Gain Dépôt (ou retrait) de fin d’année Valeur à la fin de l’année
1 100,000$ +100% (+100,000$) +50,000$ 250,000$
2 250,000$ -50% (-125,000$) +50,000$ 175,000$
Tableau 4 : Les 2 premières années d’Alexandre [-50%,+100]
Année Valeur au début de l’année Gain Dépôt (ou retrait) de fin d’année Valeur à la fin de l’année
1 100,000$ -50% (-50,000$) +50,000$ 100,000$
2 100,000$ +100% (+100,000$) +50,000$ 250,000$

Tout comme son grand-père, la richesse finale d’Alexandre dépendra de la séquence des rendements. Mais la séquence [+100%,-50%], qui avantagerait Maurice, est celle qui serait la moins favorable à Alexandre. Ainsi, la séquence des rendements n’a pas le même impact selon que l’investisseur est en phase d’accumulation (Alexandre), de maintien (Denis) ou de décaissement (Maurice).

Comment doit-on s’y prendre pour réduire les risques liés à la séquence des rendements à la retraite?

– En adaptant ses dépenses. L’exemple de Maurice est frappant. Des retraits annuels de 50,000$ tirés d’un portefeuille de 100,000$ font que la survie du capital est à la merci de la séquence des rendements. Plus les retraits sont raisonnables, moins cet enjeu tend à être élevé.

– En réduisant le niveau de risque de son portefeuille. Tel qu’illustré au tableau 2, le capital de Maurice pourrait être épuisé en seulement 12 mois puisque les placements qu’il utilise sont très risqués (forte volatilité). La date d’épuisement du capital pourrait être prévue avec une plus faible marge d’erreur s’il utilisait des produits financiers moins risqués.

– En planifiant les « grosses dépenses ». Il s’agit d’un des meilleurs moyens d’éviter d’avoir à vendre une grande quantité d’actions au mauvais moment.

En conclusion, même s’il est impossible de prévoir les rendements futurs, il vaut mieux avoir un plan pour l’inattendu. Alexandre ne doit pas se décourager lors d’un recul du marché. Il doit poursuivre son plan d’épargne annuel (tableau 4). Denis n’a pas à se faire de souci avec la volatilité. Pourquoi s’inquiéter puisque la séquence des rendements n’a aucune influence sur sa richesse finale. Quant à Maurice, il aurait avantage à se faire un plan de match s’il veut réduire sa dépendance à la séquence des rendements.

Eric Gaudreau, M.Sc., CFA
Conseiller en placement
Gestionnaire de portefeuille